
Philippe Garnier est enseignant-chercheur en Sciences de l’éducation et s’intéresse particulièrement aux apprentissages des élèves avec troubles du spectre de l'autisme (TSA), notamment dans le cadre des premiers apprentissages mathématiques. Il fait également des travaux de recherche concernant l’apport des outils numériques pour des enfants avec TSA.
Les élèves avec autisme ont-ils des besoins éducatifs particuliers qu'il faut prendre en compte dans l'enseignement des mathématiques ?
Je viens de faire une revue de littérature concernant cette question qui est sortie dans la revue ANAE fin 2017. On peut déjà se poser la question de savoir si les élèves avec autisme ont des capacités particulières en mathématiques par rapport aux autres élèves. Les médias ont véhiculé l’image de capacités extraordinaires, comme avec le film Rain Man qui suggère que la personne autiste peut, en une seconde, dénombrer un nombre important d’objets disséminés par terre, ou avec des reportages sur Daniel Tammet, personne avec autisme qui peut retenir un nombre très important de décimales de Pi. Mais il ne faudrait pas croire que ce genre de compétences est majoritaire chez les élèves avec TSA.
Il n’y a pas de consensus dans la communauté scientifique pour indiquer des spécificités, qu’elles soient des pics ou des creux de compétences, dans le domaine des mathématiques. Il faut dire que c’est un domaine pour l’instant peu exploré. De plus, le spectre de l’autisme étant très large, les difficultés concernant des élèves avec autisme et déficience intellectuelle ne pourront être comparables à celles des élèves avec autisme sans déficience intellectuelle. Elles peuvent d’ailleurs être plutôt dues à la déficience intellectuelle qu’ à l’autisme.
Une des difficultés rencontrées par beaucoup d’enfants avec TSA, y compris avec une bonne efficience intellectuelle, concerne la résolution de problèmes. Cette activité fait appel à des compétences diverses : compréhension de lecture, modélisation d’une situation de la vie quotidienne avec des signes mathématiques, planification… compétences où les enfants avec TSA éprouvent des difficultés.
En revanche, les activités dans lesquelles une dimension visuelle est présente sont en général bien mieux réussies. Donc globalement, on peut dire que les élèves avec TSA ont besoin d’avoir des représentations visuelles des notions mathématiques, certaines restant parfois très abstraites pour eux si on n’emploie pas ces supports visuels. Mais attention, il vaut mieux que ces visuels soient épurés de tout ce qui n’aurait rien à voir avec l’activité demandée et serait juste décoratif.
Que peut apporter l'utilisation de tablettes aux personnes avec autisme dans l'apprentissage des mathématiques ?
Les applications sur tablettes concernant les mathématiques se basent justement souvent sur des représentations visuelles. Les bonnes applications permettent même de court-circuiter les consignes orales, ces dernières pouvant parfois difficiles à comprendre, grâce à une présentation claire qui donne tout de suite à voir ce que l’on doit faire.
Certaines applications permettent aussi d’enregistrer les résultats de l’élève, voire de proposer des exercices adaptés en fonction du niveau de réussite. L’aspect répétitif du support numérique permet à l’élève de trouver ses repères, d’être en sécurité, dans le prévisible.
Pour l’enseignant, l’outil numérique peut permettre un gain de temps dans son travail, certaines applications permettant de générer automatiquement des exercices différents d’une fois à l’autre.
Comment choisir une application plutôt qu'une autre ?
Une application adaptée pour l’enseignement des mathématiques est donc une application qui permet à l’élève de savoir intuitivement ce qu’il faut faire, rien qu’en regardant l’écran. Certains ont besoin d’encouragement, il est bien qu’il y ait la possibilité d’un message (visuel, auditif) renforçant après chaque réussite, mais que l’erreur ne soit pas soulignée de manière trop négative.
Les possibilités de paramétrage sont également très importantes car deux élèves avec TSA ont des capacités, des besoins différents, et l’enseignant ou le parent, doit pouvoir générer avec l’application des exercices au niveau de l’élève. Idéalement, elle permettrait de travailler à partir de supports utilisés en classe et photographiés pour généraliser les apprentissages. On trouve ce genre d’applications dans d’autres domaines, comme les imagiers et les applications qui permettent de créer des livres numériques. Cela dit, certaines applications présentent un matériel qui existe en version non numérique, je pense notamment au matériel Montessori.
Avez-vous travaillé sur des expérimentations ? Qu'avez-vous pu observer ?
Dans le cadre de mon travail, je reçois de nombreux professionnels qui me font des retours d’expérience, au sujet de leur pratique des mathématiques avec des tablettes. Je vais aussi sur le terrain pour voir les utilisations par les enseignants. Ces derniers m’indiquent qu’ils souhaitent des applications très paramétrables pour qu’ils puissent répondre au mieux aux besoins de leurs élèves.
Des applications qui ont trop de fioritures (décors inutiles, musique) déconcentrent les élèves avec TSA de la tâche mathématique qui leur est donnée.
Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui souhaiteraient utiliser des applications avec des personnes avec autisme pour apprendre les mathématiques ?
Retrouvez plusieurs applications référencées sur Applications-Autisme ici : http://applications-autisme.com/Maths !
Liens :
Troubles du spectre de l’autisme et enseignement des mathématiques P. GARNIER, ANAE 2017
Enseigner à des élèves avec autisme dans un paradigme inclusif : quels dilemmes, quels savoir-se-transformer ?, P. GARNIER, 2013